Comment qualifier la société dominante contemporaine ?

Par Équipe Cocoliv.es et contributeurs, le ven. 15 mai 2020

Ceci est un brouillon en cours de rédaction. Voir la section « à intégrer » en fin de document.

Mise en garde introductive

Nous allons tenter de décrire « la société ». Vaste sujet.

Gardez en tête que cette description ne peut être que générique. Nous l’avons voulu inclusive, c’est dire rassemblant le plus de données possible. Elle est donc insatisfaisante, en cela que certains des traits sont plus ou moins marqués en France, d’autres dans les pays du Nord de l’Europe, d’autres dans tous les pays anglo-saxons, et ainsi de suite.

Nous ne maîtrisons pas bien les spécificités du « Moyen Orient » et de l’« Asie » ; ces deux notions étant elles-mêmes un point de vue typiquement Européen, qui a ses limites conceptuelles et ses préjugés.

Elle pourra aussi ne pas correspondre du tout à votre perception, notamment si vous êtes dans une ou plusieurs catégorie dominantes de la société. Ce descriptif est un point de vue des opprimés, car ce sont eux qui ont la vision la plus précise de chaque système de domination puisqu’ils le subissent. Les dominant⋅e⋅s, elleux, sont aveugles à leurs propres privilèges1.

Nous souhaitons donc partir du principe que cet essai ne prétend pas décrire exactement le réel vécu, mais qu’il tente de s’en approcher le plus possible. Il est d’ailleurs issue d’un nombre significatif de témoignages et d’analyses, qui seront précisés quand nous en avons gardé trace. En tous les cas, nous souhaitons donner des pistes pour appréhender le réel, qui est lui-même vécu de manière singulière à l’échelle individuelle, et collective, par tous les groupes composant la société.

Enfin, nous ne sommes pas sociologues. Ce document est donc une tentative de vulgarisation. Il comportera donc sans doute des erreurs d’un point de vue scientifique, que nous vous prions de nous remonter.

Alors, cette société ?

Cette mise en garde dans un coin de la tête, nous affirmons que la société dans laquelle nous vivons est dominante, dominatrice, prédatrice, au sens où tous les autres types de sociétés – peuples premiers, organisations sociales d’autres types – semblent lui succomber, de gré ou de force, au fil des cinq derniers millénaires.

Dans son incarnation contemporaine – XXe et XXIe siècles – elle est, selon le résultat de nos recherches trans-disciplinaires :

sédentaire
fondée sur l’agriculture et l’élevage depuis le néolithique2.
civilisée

c’est à dire fondée sur l’idée abstraite de droit et la soumission à celui-ci, l’honneur mesuré aux possessions donc la propriété et l’argent. Une abstraction est par définition déconnectée du réel ; au mieux peut-elle servir de modèle pour en comprendre le fonctionnement, mais elle n’a aucune correspondance biologique, physiologique ou comportementale concrète.

La propriété (usus, fructus, et abusus), cette triple notion romaine complètement floue qui n’a pas empêché qu’on l’érige en objet sacré à l’échelle mondiale.

La propriété est un droit naturel. Le droit, lui, est… une propriété3. Cet argument circulaire n’a visiblement choqué personne en deux mille ans. Sauf celleux qui se sont fait spolier la terre sous prétexte de ce droit ; mais ils n’avaient pas d’armes pour refuser cette spoliation, donc ça ne compte pas.

L’un des fondements les plus solides du « monde » dans lequel nous vivons nous semble être d’une volatilité inflammable.

La propriété serait un droit prétendument « naturel »4. Pourtant elle n’a aucun équivalent « dans la nature » puisque tous les animaux non-humains – c’est à dire 9999 ‱ du biotope – habitent et partagent des territoires qui se recouvrent… Les non-humains ne possèdent pas la terre qu’ils habitent, ils font partie d’elle. L’humain a du consacrer – litérralement « rendre sacrée » – cette abstration, la propriété, dans des constitutions et dans la Loi pour la rendre obligatoire et obliger ses pairs à s’y soumettre.

Ce qui démontre bien que ce n’est pas naturel :

Si ça l’était, ça viendrait naturellement à tout le monde, comme un comportement inné, et il n’y aurait pas besoin d’un bras armé pour faire respecter à coup de matraques et de flingues ce n’y est en fait qu’une idée, donc une abstraction issue du néocortex humain.

S’il faut des matraques et des flingues pour la faire respecter, c’est probablement que tous n’y adhèrent pas, en tous les cas pas dans l’incarnation en vigueur dans notre société.

scripturale
la société occidentale et ses états centralisés ne survivraient pas sans l’écriture5. le système monétaire et les dettes des états et des peuples ne survivraient pas sans l’écriture (papier ou informatique), ou tout moyen de conserver des quantités et des débiteurs de manière plus ou moins durable6.
philosophique
fondée sur la théorie de la séparation du corps et de l’esprit7, elle cherché à répondre aux questions posées par cette théorie à travers une discipline créée sur mesure dans cet objectif : la philosophie. Elle est censée répondre par voie de conséquence à la question du « sens de la vie ». La philosophie et ses dérivés érigent les idées, les concepts et les abstractions à des rangs sacrés8. Grâce à elle, les idées deviennent aussi importantes que les actes, si ce n’est plus.
industrielle
occidentale, c’est à dire colonialiste et impérialiste9
expan­sion­niste et supré­ma­ciste
libérale
capitaliste
patriarcale
passéiste
les règles qui régissent notre présent sont issues du passé, et ne peuvent pas être remises en cause par le simple fait qu’elles ne nous conviennent pas. Le poids démesuré de l’héritage des parents, de l’âge, des « ancêtres ». Seuls les vieux ont le droit à la parole. Ce sont les morts – leurs lois – qui dirigent. Les enfants ont juste le droit de fermer leur gueule. À chaque génération, les « jeunes » partent avec moins que la précédente, et plus de dette et d’obligations. Ce qu’ils veulent pour leur présent, les dirigeants – au sens large – s’en foutent, voire le réprime. Même si nous sommes un grand pourcentage à vouloir fonctionner différemment, ça n’a aucun poids. Les lois sont un exemple central tellement il a de poids dans le fonctionnement de la société et d’impact individuellement sur les personnes : nos vies sont régies pas des lois écrites par des mecs morts depuis des siècles. Le passé a plus de poids que le présent, et plus que l’avenir aussi. Ça donne une société incapable d’adaptation. Cette survalorisation du passé (les tradition, la « kultûûûre ») bloque le flux de la vie. Attention à la « droitesse » de l’argument : les néo-libéraux se servent de cet argument pour niquer les « acquis sociaux » et détruire la société à leur profit. Le but n’est pas de rejeter le passé, mais de pouvoir questionner le passé pour savoir si ça oppresse ou pas. Note : les oppression concernent les dominés, pas les dominants. Attention : argument circulaire. « […] sans que ça les prive de quoi que ce soit dans leurs besoins vitaux » Le fait que les dominants « soient choqués » que les pauvres blablabla ne les prive en rien de quoi que ce soit relativement à leurs besoins vitaux. Donc tagl. // avec la négo : il faut une réelle bonne raison de dire non, et proposer une alternative.
judéo-chrétienne
avec des valeurs morales directement inspirées de « plus vous souffrez, plus vous êtes méritant⋅e » (vous gagnez ainsi votre place au paradis), morale qui ne s’applique évidemment qu’aux pauvres. Certains de nos articles de loi sont directement copier-coller de textes religieux, comme l’article 371 du code civil, strict équivalent du quatrième commandement biblique.
avec des relants d’autres religions
qui ont instillé quelques valeurs complémentaires, comme l’austérité protestante (économisez ; vivez dans l’austérité et le minimalisme, sinon vous irez en enfer ; le pêché de luxure). Idem, ça ne s’applique qu’aux pauvres.
hiérarchique
par conséquent profondément inégalitaire et arbitraire. Il y a forcément des critères pour le choix des échellons hiérarchiques, et ces critères sont fixés par les dominants, donc arbitraires.

Il découle de ces fondements, que cette société est :

auto-performative (auto-justifiante, comme un argument circulaire)
la philosophie ayant érigé les concepts au rang sacré, la sémantique ayant été créée et consacrée aussi, la hiérarchie a rendu les langages occidentaux performatifs. Cette performativité incarne l’obéissance et la domination, autant qu’elle les maintient. La performativité n’est possible que parce que l’obéissance est préalablement acquise dès le plus jeune âge, et en même temps, à travers les paroles des dominants, la performativité permet de maintenir l’obéissance à travers le respect dû [en apparence] au formalisme dans l’énonciation des propos performants (= qui performent*).
âgiste
les fondements judéo-chrétiens et religieux en général érigent les vieux en prétendus sages, au détriment des jeunes. Les plus âgés ont des avantages arbitraires, uniquement fondés sur leur âge. Par exemple, pour les élections municipales, « En cas d’égalité des suffrages entre deux candidats, l’élection est acquise au plus âgé. »10 Les jeunes qui naissent sont mécaniquement désavantagés par le système monétaire11. À part pendant les trente glorieuses, toutes les autres générations ont du travailler plus dur et plus longtemps que la génération immédiatement précédente pour obtenir la même chose. (cf. graeber dette, docus)
paternaliste
l’âgisme et le néo-colonialisme, couplés aux conséquences de la TSCE12 font que les « pères » et autres chefs, tout représentant de l’autorité en fait, sait mieux que nous, mieux que les femmes, mieux que les enfants, ce qui est bon pour nous. Conséquences : les paroles et comportements des décideurs et dominants sont emplis de condescendance et d’une volonté permanente d’ingérance des affaires des autres, justifiée par la plus grande des bonnes volontés : « c’est pour votre bien, vous ne savez pas, moi oui. »
raciste
les fondements colonialistes, sexiste, classiste,
fortement normative et hétéronormée
les genres et les sexes sont fortement contraints, dès la naissance. Les organisations étatiques ou gouvernementales s’enquièrent du sexe biologique des nouveaux-nés et des individus – inscrit sur les cartes d’identités – et des rôles genrés leurs sont assignés. Rôles dont il est extrèmement difficile de sortir, ou à un prix très elevé. La plupart des gouvernements n’offrent au mieux qu’une reconnaissance extrèmement limitée au « féminisme » qui, récupéré et institutionalisé, reste limité à l’opposition, la complémentarité, ou l’égalité binaire homme / femme. Ce féminisme institutionnel n’offre aucune reconnaissance aux genres différents – non-binaires. Institutionnellement parlant, il n’existe rien d’inclusif. Beaucoup d’individus se sentent donc Les injonctions à la normalité sont extrèmement marquées, extrèmement fortes
psychophobe
la « folie » et les autres troubles psychologiques ou mentaux sont reçus et traités par de la médication (camisole chimique) ou l’enfermement (camisole physique). L
globalement culpabilisante
les individus opprimés sont renvoyés à leur unique responsabilité (individuelle) pour les malheurs qui leurs arrivent. Ils l’ont cherché, on l’ont mérité. « Si la société est pourrie, c’est que l’être humain est mauvais. » L’enfant même est un monstre à dompter, à civiliser et à éduquer (cf. la bible).
valorise les agresseurs et culpabilise les victimes
cf. les viols, les agressions racistes justifiées par le populisme d’extrème droite, etc (section à remplir).
donc, violente
toute forme de hiérarchie inclut la violence inhérente à la domination, à l’arbitraire, et à l’impuissance des dominés à modiier le schéma.

Il découle de la complexité de tout ce qui précéde que cette société est un système, et qu’il est violent. Nous pouvons donc parler de violence systémique, au même titre que le racisme ou le sexisme systémique.

Un système :

  • se présente comme universel, abouti et parfait tel qu’il est. Ses agents décideurs le décrivent comme « sans alternative crédible » (« ce sont des utopies, irréalisables ») et cultive – martelle – cet état en permanence, tant d’un point de vue historique que spatial.

    Combien de livres d’histoire et de cours d’économie ou de politique présentent « nos sociétés démocratiques », nos « républiques modernes » comme l’aboutissement de siècles d’évolution et de progrès technique et social, comme des systèmes où les maux sociaux seraient réduits au minimum de ce qu’ils peuveut être ?

    Quand le mot imperfections est versé au débat, il est immédiatement accepté et mis en perspective d’autres systèmes totalitaires ou fascistes (URSS, Allemagne nazie, systèmes à castes…), moins avancés socialement (protection sociale, liberté d’expression, inégalités des chances, système d’imposition plus ou moins…), et ses agents le décrivent comme « le système le moins pire ». Il n’y a rien de mieux : tout autre système, tout autre pays, est pire, d’une manière ou d’une autre. [SOURCES]

  • est porté par une responsabilité collective : chaque agent n’a qu’une prise très limitée sur son prétendu libre-arbitre.


À intégrer :

  • compétition et non entraide. concurrence. C’est plus que de la compétition, il faut pas juste gagner, il faut les détruire.
  • séparation des enfants des mères. séparation des parents, séparation des gens, division totale (jusqu’à la famille nucléaire). spécialisation, séparation, découpage, division.

au lieu de vivre ensemble en permanence et d’être séparées de temps en temps, c’est l’inverse qui se produit : nous sommes la plupart du temps séparées des personnes avec qui nous avons des liens importants (parents, frères, sœurs, amis, famille de cœur) pour être pendant ce temps important dans des relations professionnelles ou scolaires ou éducatives ou de soin (hospitalier / EHPAD / etc), des relations qui par définition et par professionalisme ne doivent contenir aucun sentiment, aucune implication affective. Nous sommes donc dans la part la plus important de notre temps dans des erzatz de relations qui au mieux ne nous apportent rien d’un point de vue physiologique, au pire sont délétères.

  • gestion du temps

Cette société, démarrée au néolithique, est issue de la sédentarisation, de l’agriculture et de l’élevage. La constance de ses préceptes fondamentaux – séparation des enfants de leur mère, domination masculine, possession et propriété, théorie de la séparation du corps et de l’esprit – a conduit à la société (=organisation des humains) que nous connaissons aujourd’hui. Mais cela n’a pas toujours été comme ça, bien au contraire. Dans l’histoire humaine, ce type de société est très récent, et historiquement ce n’est qu’un type de société parmis d’autres, et absolument pas la panacée, comme les dirigeants s’accharnent à essayer de nous le faire croire.



  1. Voir Une poubelle, des élèves, des bouts de papier et une belle leçon de vie pour comprendre pourquoi avec une analogie très simple.

  2. Voir Une histoire du monde sans sortir de chez soi de Bill Bryson, éd. Payot et Rivages (2014). Celui-ci ne traite que de l’Europe et des États-Unis, mais vous aurez une bonne idée de ce qui vient du néolithique et de comment le présent de nos intérieurs a été construit depuis.

  3. Voir Dette : cinq mille ans d’histoire de David Graeber.

  4. Voir la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, fondement de toutes les républiques Françaises.

    À titre d’exercice, comparez-la à celle de 1793.

    Demandez-vous pourquoi c’est celle de 1789 qui a été choisie comme fondement des républiques françaises, et pas celle de 1793.

    Élément de réponse : Celle de 1789 est « un chef-d’œuvre libéral », ce sont les libéraux eux-mêmes qui le disent.

  5. Voir Homo Domesticus de James C. Scott.

  6. La dette en tant que concept et moyen de régir les relations inter-humaines, ça c’est une question plus complexe. Voir Dette : cinq mille ans d’histoire de David Graeber.

  7. abbrégée en TSCE par la suite.

  8. Par exemple, qui peut encore critiquer aujourd’hui l’idée même de liberté ? La liberté en tant que concept ? C’est impensable. La liberté est [devenue] sacrée, et l’idée de liberté aussi. Certains concepts, comme le droit, la propriété, la loi, sont devenus sacrés, et par là même, composants d’une sorte de religion invisible. Essayez donc de critiquer l’un ou l’autre de ces concepts. Rien que le simple fait de les étudier en tant que concepts au même rang que les autres nous fait passer pour des anarcho-hérético-nihilistes. CQFD.

  9. L’im­pé­ria­lisme, désigne :

    • l’ex­pan­sion des acti­vi­tés écono­miques, en parti­cu­lier l’in­ves­tis­se­ment, la vente, l’ex­trac­tion de matières premières et l’ex­ploi­ta­tion de main-d’œuvre afin de produire des biens et des services au-delà des fron­tières natio­nales,
    • les effets sociaux, poli­tiques et écono­miques de cette expan­sion.
  10. C’est toujours le cas en 2020, au moins en France. Voir par exemple Élections municipales françaises de 2020 et Panachage électoral.

  11. Voir Stéphane Laborde, Théorie relative de la monnaie, ou en ligne, consulté le 28 avril 2020.

  12. par exemple, les religions ont dérivé la TSCE pour reléguer la femme au rang de corps (par l’enfantement et l’allaitement, qui la rapproche des animaux) et l’homme au rang d’esprit (par sa capacité prétendument supérieure à s’abstraire, se séparer du nouveau-né, le laisser pleurer quand la mère ne peut pas). L’homme avait le pouvoir de s’abstraire des besoins charnels et physiologiques de l’enfant, la femme et l’enfant, non. La hiérarchie originelle, si je puis m’exprimer ainsi, a été de placer l’esprit au dessus du corps, l’âme au dessus du charnel. L’homme s’est retrouvé « naturellement » au dessus de la femme… Et le patriarcat est né.