Pourquoi le confinement génère-t-il autant de stress et de malaise ?

Par Équipe Cocoliv.es et contributeurs, le sam. 25 avril 2020

temps de lecture : environ un quart d'heure (plusieurs heures avec les sources).

Pourquoi le confinement, en général et plus particulièrement en France, met-il les gens aussi à genoux ? Il y a un profond malaise qui traine, une espèce de stress « social » qui grignotte l’énergie en permanence.

Selon nous, il y a des causes évidentes, c’est multi-factoriel. Nous allons essayer de les lister de manière exhaustive. Les connaître et les conscientiser, c’est le minimum nécessaire pour agir dessus, quand c’est possible.

Cela dit, pour nous ces causes évidentes ne font que gratter la surface. Il y a aussi une cause très simple mais loin d’être évidente car c’est un tabou social qui remonte à la naissance de la civilisation1.

Arguments évidents

Partons du principe que nous ne vivons pas tous pareil le confinement2, et essayons de rassembler les maux et conséquences qui découlent de ces situations différentes.

« De l’avis général, le confinement agit en effet comme un catalyseur. Dans les familles, au sein des couples ou chez les célibataires, ce huis clos imposé est l’occasion d’un retour sur soi, parfois étonnamment bénéfique, d’autres fois plus douloureux, voire franchement angoissant. Beaucoup se retrouvent face à eux-mêmes et à leur inconscient, qui parfois les déborde, notamment au travers de leurs rêves. »3

  • Certaines personnes ont légitimement peur. Soit directement pour elle, soit pour des proches. Les personnes vulnérables se sentent directement menacées, par une maladie invisible. Le manque de moyens criant, le nombre de cas qui augmente malgré les mesures… Pour les vulnérables il ne faut surtout pas tomber malade, car si la maladie se déclare, après c’est « la loterie de la réanimation ».

    Pour les valides un tant soit peu empatiques, en plus de la peur de tomber malade, il y a la peur et la culpabilité anticipée de transmettre aux vulnérables ou à ses propres proches, qui pourraient tomber malade ou transmettre.

  • une bonne partie de la population en chie vraiment. Et les mots sont faibles. Certain⋅e⋅s peinent à se nourrir4, d’autres sont dans des espaces plus qu’insalubres les un⋅e⋅s sur les autres5. S’ils ne sont pas encore dans la rue, c’est probablement par peur de se faire tabasser par les « services d’ordre » de plus en plus violents et complètement arbitraires6. Les pauvres prennent la crise et le confinement de plein fouet, bien plus que les riches7.

  • l’action sociale – les éducateurices spécialisées – est aussi sous-pression que l’hopital. À côté de ça, les jeunes, les cités, les quartiers sensibles d’une manière générale, sont complètement abandonnés8. Plus rien ne fait tampon pour absorber leur colère – parfaitement légitime, par ailleurs.

  • une grande partie de l’action associative est à l’arrêt car elle est mue en temps normal par les retraités, maintenant vulnérables. Cette action associative joue le rôle de tampon et pallie tous les manques de l’action gouvernementale et politique en direction des précaires et laissées pour compte. Ces dernières en prennent donc encore plus plein la gueule puisque les dispositifs de compensation et de colmatage ne fonctionnent plus.

Peur, tensions, colère et rage, angoisses, traumas en grand nombre… Et donc beaucoup, beaucoup de stress, incluant des syndromes de stress post-traumatiques, à l’échelle individuelle et à de nombreuses echelles collectives.9

Ce stress se transmet de proche en proche et s’amplifie, à travers les gens qui se voient encore ou se parlent par téléphone, et à priori personne n’arrive à rassurer personne car la plupart des gens ont déjà atteint un niveau de stress qui dépasse leurs seuils.

Certaines personnes – la plupart, en fait – « prennent » ou reçoivent le stress des autres, donc une sorte de « double couche ». Souvent elles n’en sont pas conscientes. Nous pensons aux enfants, mais aussi à d’autres personnes qualifiées d’hypersensibles10.

Continuons les arguments :

  • Beaucoup n’ont aucun moyen de compenser ou adresser leurs angoisses : même aller voir un⋅e psy est devenu risqué11. Un stress non « résolu » (écouté, accueilli, appaisé avec ou sans accompagnement) est stocké dans notre mémoire, et grandit. Les stress suivants viennent s’ajouter et le rappellent – en termes de mémoire émotionnelle, c’est ça qui le fait grandir et devenir petit à petit ingérable.

  • Pour celleux qui avaient encore les moyens de compenser leurs angoisses, les objets « pas de première nécessité » – donc tous les produits de « compensation » de malaise – sont plus difficilement accessibles. Plus d’achats compulsifs, ou plus difficilement.

    Même quand Amazon continuait de fournir, la livraison était plus lente. Maintenant ils n’ont plus le droit de livrer que des produits essentiels et ont même fermé les entrepôts temporairement12. Les malaises ne peuvent plus être compensés par des achats, ou alors c’est entravé.

    Maintenant, les flics verbalisent les gens qui se payent des produits « compensatoires »13 :

    Si c’était le moyen de nous faire payer, encore et encore, leur absolue incompétence de dirigeants? De l’argent magique.

    Et puis on ne serait plus libre d’avoir des préférences, des addictions, des plaisirs.

    Le jack pot. La double soumission.

    Or les achats sont la voie [libérale] et le choix politique occidental pour répondre aux besoins non-comblés et aux désirs frustrés.

    Sans ça, chacun⋅e se retrouve face à ses émotions, face à sa situation, sans possibilité de fuite, et absolument pas outillé pour l’apréhender, puisque ni l’école ni « la famille » en tant qu’institution n’éduque à la gestion de ses propres émotions ou celles des autres. Pour beaucoup de gens, l’absence de compensation par l’achat est forcément encore générateur de stress.

    Donc des classes qui pouvaient encore « compenser » ne le peuvent plus. De là à dire que l’argent ne sert plus à rien… On n’en est pas encore là, mais il n’est plus possible d’acheter de nouvelle voiture. Le stress « social » gagne petit à petit les classes moyennes, qui sont d’habitude utilisées pour aider les dominants à dominer. Il est « monté d’une classe », et ne concerne plus seulement les pauvres, les banlieues, les racisé⋅e⋅s, les femmes et les enfants, classes qui sont elles encore plus maltraitées14.

  • Dans les classes moyennes, à part les gens qui s’aiment vraiment réciproquement qui ont pu se retrouver ensemble, beaucoup de personnes se retrouvent avec d’autres avec qui ielles n’ont pas envie d’être. Les femmes battues avec leur conjoints violents, les enfants battus ou maltraités psychologiquement avec leurs parents maltraitants… Et même les parents qui n’ont pas envie d’être avec leurs enfants.

  • nos relations bénéfiques sont malmenées, ou coupées. Nous ne pouvons plus voir les personnes avec qui nous sommes bien, qui nous font du bien15, ou à qui nous faisons du bien. Toutes les relations extra-familiales – amant⋅e⋅s, ami⋅e⋅s, copains de débrouille, potes de quartier – sont interdites car non-considérées « de nature familiale impérieuse ».

    Mais c’est un problème de fond, car l’être humain est un animal social. Dans toutes les classes sociales, ces relations maintenant interdites sont ce qui permet de bien vivre les situations difficiles – qui sont permanentes dans notre société.

    Toutes ces relations « hors-famille » sont donc impérieusement nécessaires au bon équilibre de la société, et donc par ricochet des institutions républicaines ultra-normées [et totalement à bout de souffle] que sont « le travail [salarié] » et « la famille [nucléaire] ».

    En empêchant ces liens là, en forçant les gens (adultes, enfants) à vivre en familles « de sang » ou en familles « légales », ou tous⋅tes seul⋅e⋅s, les gouvernants brisent toutes les familles de cœur, celles que les gens se sont choisies pour se sentir bien.

    Empêcher ces relations, qui dans beaucoup de cas sont inconsciemment nécessaires, vitales c’est augmenter énormément le stress, les angoisses, les états dépressifs, pour diverses raisons. Les membres elleux-mêmes de ces relations ne se rendent souvent pas compte à quel point elles sont importantes pour leur bonne santé mentale ou pour l’équilibre de leurs autres relations.

  • Celleux qui travaillent encore, à distance ou sur site, ont des relations « forcées » avec leurs managers, leurs clients et leurs fournisseurs. Quand c’est sur site, les conditions sont très souvent anxiogènes car les gestes barrière ne sont pas présents, il n’y a pas de masques, etc. Ce sont des relations qui par expérience depuis deux cent cinquante ans sont loin d’être aussi épanouissantes que les relations authentiques de nos familles de cœur.

    Un partie de la population se retrouve donc non seulement coupée de relations bénéfiques, mais forcée à maintenir des relations délétères, dans lesquelles le stress social transpire forcément. Une sorte de double peine.

Rappelons que 80% du cerveau est lié de près de ou de loin aux relations ou à leur « gestion ». Empêchez les « bonnes relations » de fonctionner, et rendez les relations toxiques obligatoires16… Nous ne sommes pas divinateurs, mais ça ne semble pas bon. Les circuits de la récompense et les zones du plaisir ne vont pas beaucoup s’activer.

Ce que ça signifie concrètement, c’est par exemple pour les enfants un mauvais développement cérébral accentué par le confinement17. Pour les adultes, l’endommagement à terme de certaines zones cérébrales – trop de cortisol.

Il y a très probablement d’autres arguments. Étant centrés sur les relations, nous ne développerons pas plus pour l’instant.

Réactions face au stress et connexions grégaires

Face à une situation de stress, trois réactions sont programmées dans le monde animal (donc chez les humains aussi) :

  • la fuite. Elle est impossible pour l’écrasante majorité des personnes. Seuls quelques nantis ont fui la capitale pour aller se cacher dans leurs résidences secondaires18 ;
  • l’attaque, qui ou quoi attaquer ? C’est hors de propos, face à un virus… Les seuls responsables qui devraient être attaqués sont les ultra-riches et la classe politique, et ils sont protégés par la police et l’armée. Donc impossible aussi.
  • ne reste que la sidération, qui mène au sentiment d’impuissance lorsqu’aucune autre réaction n’est possible.

On peut nier la sidération et l’impuissance, les mettre sous le tapis en regardant des séries (quand on peut…), mais la question reste « quand et comment tout ceci sortira ? »

Nous pensons que tous les humains sont maintenant connectés. Nous ne parlons pas de « connexions spirituelles » et autres foutaises philosophico-religieuses, mais de réalité : la société civilisée-occidentale entière est inter-connectée à travers des réseaux d’interdépendances : pour l’approvisionnement de la nourriture, la construction des logements, et tous les produits ou services en général.

Avec la division du travail et la spécialisation, chacun des maillons dépend d’autres, qui sont tous dépendants de multiples autres.

Dans un contexte de pandémie, toutes les émotions que nous avons déjà évoquées, le stress, les peurs, les colères, l’injustice, etc se transmettent de proches en proches par tous les moyens (appels téléphoniques, tons dans la voix, rythmes de respiration, langage corporels, encore plus que le langage verbal).

Par exemple les forces de l’ordre au contact des précaires transmettent à leurs familles (donc classes moyennes) qui transmettent à leur tour. Ce stress « tourne » et se répand, principalement de manière inconsciente.

Le stress devient collectif, le trauma aussi, et tout ou partie des PTSD affecterons une grande partie de la société, même si c’est de manière inconsciente.

La société entière est connectée, d’une manière ou d’une autre, aux difficultés de « ses classes les plus basses », et de toustes celleux qui souffrent en général.

Les dominants se pensent probablement à l’abri de tout cela. Mais toutes ces sources de stress ne sont qu’une, dans cette société dont nous sommes tous membres. Leur mépris, affiché indirectement dans les médias19, nourrit la grogne.

Notre argument, tabou social

Pour comprendre cet argument, il nous semble nécessaire de rappeler la position du – ou des – gouvernants dans son ensemble. Nous assimilons la police au gouvernants car elle est leur bras armé. Les actes policiers découlent des décisions des préfets (donc l’État) qui prennent leurs ordres au ministère de l’intérieur, lui-même à l’Élysée20. Nous résumons cette position dans les points suivants :

  1. ne pas suivre les recommandations médicales et scientifiques des épidémiologistes21, ni même de l’OMS (pas de tests, confinement trop tard, pas ciblé, etc), foirer les tests22,
  2. ne pas avoir préparé le terrain alors que ça fait des années que les scientifiques alertent sur les dangers d’une pandémie dans une économie mondialisée23,
  3. décider ou agir avec beaucoup de retard, et de manière désordonnée, brouillonne, erratique,
  4. justifier toutes les décisions (et leur contraire) par « c’est pour votre sécurité », « nous savons ce que nous faisons », « obéissez ! »,
  5. mentir ; « nous ne savions pas que c’était grave », alors qu’en fait si.
  6. mettre l’accent sur la repression (amendes « progressives », aucune tolérance, tabassages ou harcèlement, cf. notes précédentes),
  7. Mettre en place des aides d’urgence pour tout le privé (entreprises, banques…) dont une bonne partie qui n’en a pas besoin – les dividendes ne font qu’augmenter depuis 2009, l’argent est bien quelque part – et s’en remettre aux actions privées pour aider les soignants que l’on se cantonne à traiter de héros – comme si c’était suffisant.
  8. choisir sciemment de ne pas allouer de nouveaux crédits aux hopitaux, après les avoir détruits pendant des décénies, et ne pas aider du tout les personnes ou groupes précaires les plus touchés par les conséquences du confinement,
  9. Sortir du confinement trop tôt24 ; En choisissant de ré-ouvrir les écoles, au pire juste favoriser l’économie au prix de nombreux morts, au mieux tabler sur l’immunité de groupe en passant par les enfants – et sans le dire25.

Ce qui revient respectivement à :

  1. ne pas faire ce qui est bon pour nous,
  2. être inconscient et irresponsable,
  3. faire montre d’incompétence et de négligence,
  4. clamer « c’est pour ton bien ! »
  5. mentir
  6. punir (= aggressivité, violence)
  7. aider ceux qui n’en ont pas besoin, les « enfants gâtés », et enrober le tout d’un « débrouillez-vous tous seuls pour réparer nos conneries », donc être lâche, se défausser de ses responsabilités.
  8. laisser pour compte celleux qui le sont déjà, et ne pas corriger le tir – perséverer dans sa connerie – donc être au mieux négligent, au pire malveillant,
  9. Prendre des décision dangereuses, autrement dit non seulement ne pas faire ce qui est bon pour nous, mais carrément faire ce qui est mauvais pour nous.

Nous passons très vite sur l’analyse politiciennement politique de cette situation : par exemple « privatiser les profits, nationaliser les pertes », détruire les services publics et faire appel au privé / citoyen pour sauver la mise, supprimer l’ISF, ne pas lutter contre l’évasion fiscale (=fraude) et acclamer quand les évadés se mettent à fabriquer du gel hydro-alcoolique… Tout ceci a déjà été traité dans de nombreux média, et de manière relativement exhaustive.

Nous en venons à l’argument le plus important pour nous dans le générateur de stress et de malaise du confinement ; l’argument qui amplifie tout ceci, qui le décuple à un point inimaginable d’un point de vue individuel mais aussi collectif dans son ensemble.

Nous parlons de l’argument relationnel (émotionnel). Celui-ci est tout aussi politique sinon plus. Il mobilise les ressorts les plus profonds de nos histoires personnelles et sociales et de nos inconscients individuels et collectifs, pour celleux qui ne l’ont pas conscientisé, c’est à dire 99% des gens qui sont dans le déni total du réel, passé comme présent, et de ses conséquences.

Cet argument nous semble décomposable en deux parties distinctes pour en prendre toute la mesure :

Les gouvernants se comportent avec les gouvernés comme les plus mauvais parents avec leurs enfants.

Nous faisons le parallèle entre l’attitude des gouvernants – et particulièrement les gouvernants Français – et l’attitude des plus mauvais parents dont « l’éducation » est empreinte de violence éducative et de maltraitance.

  • prendre les citoyens pour des imbéciles incapables en les infantilisant au maximum,
  • leur faire porter toute la responsabilité de la transmission de la maladie et des actions de soins directes et indirectes (donc se défausser de ses responsabilités de gouvernant),
  • les punir de manière arbitraire pour une situation et des actions qui ont été rendues nécessaires / obligatoires par ces mêmes gouvernants et les précédents26,

L’attitude du gouvernement – et de toute forme de gouvernement en général – est néfaste aux citoyens. Ce n’est pas en les considérant comme des imbéciles que les citoyens seront plus automes. Au contraire. C’est une combinaison des variantes politiques des effets Golem et Barnum, et le corrolaire de l’effet Matthieu27 (ou une combinaison des trois).

Les actes et paroles des gouvernants nous ramènent à notre propre enfance et aux maltraitances que nous avons subi

Et c’est pour nous la clef de compréhension de l’amplification du stress et du malaise lié au confinement.

Celui-ci est pour chacun⋅e de nous, quasiment la totalité de la population sans exception, une mise en abîme de notre propre enfance.

Partant du principe que chaque nouvelle situation – similaire dans ses conditions – rappelle une émotion enfouie dans notre mémoire liée à une situation non résolue de l’enfance28, l’attitude des gouvernants nous rappelle toutes les situations de violence éducative de notre enfance, elles-mêmes déjà en résonance dans toutes les situations difficiles de notre vie d’adulte.

Nous sommes en pleine boucle de rétro-action négative (un mille-feuilles, en fait), maintenue de force (donc ajout du sentiment d’impuissance) et sans date de sortie (désespérance, dépression). Les actes, décisions et paroles de nos gouvernants étant ce qu’elles sont (lâches, irresponsables, etc), s’ajoute un fort sentiment d’injustice.

La situation de chacun⋅e d’entre nous, à l’échelle individuelle mais aussi à l’échelle collective – et c’est cela qui est nouveau – rappelle des émotions dégueulasses et des situations horribles de notre enfance, à divers degrés29.

Les pauvres sont encore plus mal lotis30 puisqu’ils sont forcés d’aller au front pour pouvoir manger et survivre dans des conditions précaires et surchargées, alors que les bobos sont tranquilles en télétravail et continuent d’amazoner dans leurs grands appartements ou maisons avec jardin/potager.

Ne parlons même pas de celleux qui n’ont pas de quoi manger ni d’habitat.

Des situations de stress et peurs intenses, d’angoisses, de sidération ou d’empêchement physique de se sauver nous-mêmes (enfants battus, fouettés, enfermés) ou de sauver une ou plusieurs personnes aimées (la mère battue ou ses autres frères et sœurs pour certains enfants, les enfants prisonniers de leur parent maltraitant pour les parents bienveillants mais vulnérables au covid-19).

Nous citoyens, sommes infantilisés au plus haut point. Les gouvernants ne nous font absolument pas confiance pour être responsables et nous auto-gérer.

Dans cette situation, il est parfaitement normal que certains citoyens fassent n’importe quoi : c’est exactement ce que les gouvernants croient que nous allons faire. Tous les effets déjà cités s’appliquent. C’est scientifiquement et statistiquement démontré. Les citoyens ne sont pas à blamer. Les gouvernants, oui. En tant que gouvernants, tout ceci est leur responsabilité directe. S’ils n’en voulaient pas, il fallait ne pas être gouvernants.

De même que l’éducation violente des enfants est la responsabilité seule des parents. On pourrait dire « s’ils ne voulaient pas d’enfants, il ne fallait pas en faire », mais ça serait beaucoup trop simpliste car ça masquerait les ressorts structurels en jeu, notamment la pression sur les femmes31.

Maintenant, la seule chose saine à faire pour que tout puisse finir par se résoudre un jour et l’humanité dans son ensemble s’apaiser32, c’est d’assumer.

Gouvernants, vous avez choisi de gouverner, et avez choisi que « gouverner » était la seule voie possible, et vous continuez de nous l’imposer par la force et la violence. Vous et vos prédécesseurs allez devoir assumer. Pour l’instant, le quatrième commandement et l’héritage judéo-chrétien de culpabilité vous protège. Mais pour combien de temps ?

Soit tout ceci est adressé, soit ça va encore s’enfouir dans nos corps et nos mémoires33, jusqu’au prochain rappel. Qui demandera encore justice, de manière toujours plus forte34.

Ce prochain rappel pourra être à l’échelle individuelle (par exemple au travail), où une personne vivra une situation qui lui rappellera émotionnellement le confinement qui lui a déjà rappellé [etc, etc]. Le risque de « complètement péter un câble » de manière disproportionnée augmente avec le temps qui passe et le nombre de répétitions.

Il pourra aussi être à l’échelle collective, comme la répression du mouvement des gilets jaunes leur rappelle forcément inconsciemment la maltraitance parentale. Pour l’instant la seule chose qui retient les GJ de tout brûler, c’est le quatrième commandement de la bible35, réincarné dans l’article 373 du Code Civil. Pour l’instant le « respect » – la crainte, en vrai – de l’autorité est encore plus forte.

Mais les plus jeunes générations n’ont aucune honte à ne plus pardonner les maltraitances de leurs parents, à ne leur témoigner aucun respect. La culpabilité de dire « je n’aime pas mes parents, ils m’ont fait trop de mal » s’amenuise au fil des générations, et d’autant plus que la pression sur les enfants est de plus en plus forte.

D’un point de vue individuel et collectif, c’est un réel espoir.

C’est une réaction saine à une situation malsaine qui se répète depuis cinq mille ans37.

Au passage, les gilets jaunes, avec le confinement, en prennent une double couche puisqu’ils se sentent d’autant plus muselés que « le confinement tombe vraiment très bien pour nos gouvernants » de ce point de vue.

L’issue du confinement, quand elle se produira d’une manière ou d’une autre (temporaire ou définitive), risque fort d’être accompagnée de nombreuses décompensations.

À l’échelle individuelle, c’est très triste pour les personnes qui vont encore en souffrir. À l’échelle collective, ça reste alarmant pour les mêmes raison, mais aussi très enthousiasmant pour tous les changements que cela pourrait faire advenir.

Au vu des souffrances inconscientes accumulées, les « réactions » ou décompensations risquent fort d’être imprévisibles (donc inanticipables d’un point de vue des gouvernants). C’est encore alarmant car « en prévision de n’importe quoi » le stock de LBD 40 va encore augmenter, mais c’est d’autant plus enthousiasmant que la diversité des réponses et solutions sera probablement intraitable à coup de grenades et d’armées.

Que va faire le patronat quand le dépistage massif et les quarantaines seront mises en place ? Forcer les pauvres à aller travailler en étant porteur du SARS-Cov-2 ? Renforcer encore plus leurs contraintes ? Ya ptèt un moment où ça va péter, non ?

Que va faire l’armée quand les gens vont « se lever et se casser » en masse38 ? Les forcer à rester chez eux ? Beaucoup y sont déjà. Si les ouvriers sont contraints de rester chez eux, l’économie va pas aller beaucoup mieux. On va faire quoi, réquisitionner les classes moyennes pour leur faire faire le boulot des ouvriers ?

Quoi qu’il arrive, ça promet.

« Beaucoup de mes patients développent des interrogations profondes, sur le sens de la vie et l’organisation économique ou politique de la société », ajoute [la psychologue]. « Ils s’interrogent beaucoup sur leur manière de consommer et se rendent compte qu’ils peuvent être relativement épanouis sans tous les besoins de consommation après lesquels ils courent habituellement », constate-t-elle39.


  1. Nous nommons civilisation le type de société humaine démarré au néolithique qui a conduit à la société dite « occidentale néo-libérale mondialisée » telle que nous la connaissons aujourd’hui. Pour plus de détails voir notre qualification de la société dominante contemporaine. Pour une anthropologie détaillée, voir L’accouchement est politique de Lætitia Négrier et Béatrice Cascalès et Dette : cinq mille ans d’histoire de David Graeber.

  2. Voir Confinement : à quel profil de confiné correspondez-vous ?, consulté le 18 avril 2020. Notez cependant que nous ne nous retrouvons dans aucun des profils présentés.

  3. Voir Angoisses décuplées ou effet libérateur : des psychologues racontent les répercussions du confinement sur leurs patients, consulté le 18 avril 2020.

  4. Voir Confinées, des familles précaires peinent à se nourrir (consulté le 11 avril 2020), et Coronavirus : « près de 800 mails » envoyés à la plateforme pour signaler les supermarchés refusant les parents isolés avec enfant (consulté le 18 avril 2020). Plus loin de chez nous, c’est encore pire : En Afrique du Sud confinée, « c’est la guerre » pour se nourrir dans les banlieues pauvres, et nous savons que dans le reste du monde, c’est sensiblement la même chose partout. Les chiffres varient d’une source à l’autre, mais une bonne partie de l’humanité est confinée, par exemple : Coronavirus : 1,7 milliard d’humains vivent maintenant confinés.

  5. Voir « On va mourir de ça » : comment les Français mal logés sont piégés par le confinement, ou Ces mal-logés montrent leur confinement dans l’insalubrité et la promiscuité, ou encore Le Covid-19, une maladie de pauvres, consultés entre le 11 et le 18 avril 2020.

  6. Les faits confirment la légitimité de ces peurs, puisque la police est de plus en plus violente depuis le début du confinement. Voir nos ressources sur le sujet, contenant une section dédiée au violences pendant le confinement.

  7. Voir Coronavirus : les pauvres paient la crise plus cher que les riches qui en sont responsables, consulté le 17 avril 2020.

  8. Voir Prévention spécialisée : « des jeunes abandonnés par les pouvoirs publics », consulté début avril 2020.

  9. Voir Covid-19 : Un confinement de plus de dix jours peut causer des syndromes de stress post-traumatique sur France Culture, consulté le 15 avril 2020.

  10. Et non, ces personnes ne sont pas hypersensibles.

  11. Voir La policière, l’attestation, et « les gens comme ça », témoignage du 30 mars 2020 sur Libération (consulté le 30 mars et le 11 avril 2020).

    Comme expliqué dans un article d’une note précédente, beaucoup de psychologues consultent maintenant à distance, mais ont perdu les deux-tiers de leur patientelle dans le processus.

  12. Voir Amazon condamné à ne plus livrer que les produits alimentaires, médicaux et d’hygiène puis Amazon va fermer ses entrepôts français pendant 5 jours, consultés entre le 11 et le 18 avril 2020.

  13. Voir 135€ pour un achat de tampons ou de gâteaux : un site recense les abus policiers sous le confinement.

  14. Voir Confinement : les violences conjugales en hausse, un dispositif d’alerte mis en place dans les pharmacies et Confinement : “Les appels pour violences sur des enfants sont en hausse depuis lundi” consultés le 12 avril 2020.

  15. et même quand les plus aisés d’entre nous peuvent « compenser » avec des communications téléphoniques ou webcam, la saturation des réseaux rend ces communications laborieuses. Sans parler du fait que cela ne remplacera jamais la proximité physique (transfert d’hormones, 50% des récepteurs dermiques dédiés à la réception du toucher, etc).

  16. Ce sont les statistiques : 98 ou 99% des familles sont toxiques à différents niveaux. Les parents pratiquent à minima les « douces violences », au pire divers degrés de VEO. Que ce soit pratiqué consciemment ou pas n’est pas la question. 99% de nos enfants souffrent et ne peuvent se soustraire à cette souffrance (traumas répétés + impuissance = dépression ou troubles/comportements dépressifs).

  17. Voir Alfie Kohn, Le mythe de l’enfant gâté et Aimer nos enfants inconditionnellement, Catherine Guéguen, Pour une enfance heureuse. Quelques études sont référéncées en ligne sur le site de l’OVEO : Études scientifiques sur les effets de la violence éducative ordinaire.

  18. Voir En plein confinement, des maires alertent sur des arrivées de nuit dans les résidences secondaires, consulté début avril 2020.

  19. Voir par exemple Confinés dans leur château de 2 500 m² ou Confinés seuls, les riches New-Yorkais découvrent les corvées, et c’est « un choc », consultés courant avril 2020. La formulation des articles, visant à susciter la pitié de « ces pauvres riches qui souffrent », est très partisane, et ne peux qu'engendrer la colère des plus précaires qui les lisent.

  20. N’essayez pas de nous faire croire que les policiers agiraient « de leur propre chef ». Toute la chaîne martelle que les agents ne font qu’obéir aux ordres, et que cette obéissance les honore. « la hiérarchie », « la chaîne de commandement », chaque échelon s’en enorgueillit.

    Et les violences policières sont niées, minimisées, ou enterrées. Chaque agent de la chaine en est fier, et les lanceurs d’alertes sont éjectés ou fortement punis ; les alertes étouffées. [SOURCES ?]

  21. Voir par exemple Philippe Klein : « J’ai conseillé à Emmanuel Macron un confinement strict, tout arrêter pendant quinze jours » sur France Inter ou Des chauve-souris et des hommes : politiques épidémiques et coronavirus, consultés le 14 avril 2020.

  22. Voir Dépistage du coronavirus : comment le gouvernement a tout raté, consulté le 26 avril 2020.

  23. Les gouvernements étaient prévenus. Par exemple par Une pandémie fictive à coronavirus simulée il y a trois mois par des experts a tué 65 millions de personnes mais ça n’a pas été la première simulation ou alerte.

    Même les comploteurs avaient prévenu : Bill Gates, la CIA, Jacques Attali… Ils avaient alerté sur une épidémie mondiale. La situation aux USA illustre celle de tous les gouvernements (fil Twitter) : « rien à foutre ».

  24. Aux USA par exemple It’s Too Soon to Reopen States. The Coronavirus Is Not Under Control, mais c’est partout pareil. L’économie passe avant tout, et c’est ça qui va la tuer, parce que ceux qui la font tourner vont tomber malades ou mourrir.

    « Sortir [du confinement] trop tôt, c’est comme détacher son parachute à 300m du sol parce qu’il vous a suffisament ralenti jusque-là. » — Carl Bergstrom, professeur de biologie à l’Université de Washington. Même Jacques Attali le dit, alors merde, quoi.

  25. Voir (en anglais) L’immunité de groupe ne nous sauvera pas : l’immunité de groupe n’est valable qu’en cas de vaccination. Avec le Covid-19, pour obtenir une immunité de groupe tout le mondre (60% minimum de la population, au vu du R0 entre 2 et 3) devra tomber malade, ce qui veut dire des morts. Penser que l’immunité de groupe peut se faire en infectant seulement les enfants (qui tombent moins malades) c’est garder de trop nombreuses portes ouvertes concernant les personnes âgées, etc. C’est un très mauvais calcul.

  26. Voir notre argumentation à ce propos.

  27. Cf. les fiches Effet Golem, Effet Barnum et Effet Matthieu sur Wikipédia, consultées le 11 avril 2020.

    Il y a aussi probablement une part d’effet Dr. Fox, puisque nos gouvernants font une utilisation abusive du non-verbal et d’attitudes autoritaires de surconfiance pour faire passer des absurdités.

  28. Voir l’intégralité de l’œuvre d’Alice Miller à ce sujet, et plus particulièrement Notre corps ne ment jamais (introduction en ligne). Voir aussi les ouvrages de Jacques Salomé mais je n’ai plus de référence particulière en tête, et le travail de vulgarisation sur la mémoire de Catherine Guéguen dans Pour une enfance heureuse, déjà cité.

  29. D’autres personnalités comprennent la posture des dirigeants de manière similaire, sans pour autant en comprendre tous les tenants et aboutissants. Voir Johann Chapoutot : « Merkel parle à des adultes, Macron à des enfants », consulté le 26 avril 2020.

  30. Et les enfants pauvres, c’est encore pire, article sur Libération consulté le 9 avril 2020.

  31. Cf. Mais pourquoi donc ai-je fait un enfant ? sur La Daronne perchée, et Les autorités malaisiennes conseillent aux femmes de faire plaisir aux hommes pendant le confinement, consulté le 11 avril 2020.

  32. Celle seule phrase sera l’objet d’un essai, car elle est facilement compréhensible, intuitivement apréhendable quand on sait ce que nous savons mais mérite d’être calmement démontrée à l’aide de données antropologiques et psycho-sociologiques que nous avons rassemblées par ailleurs.

  33. Cf. Alice Miller, ibid.

  34. Cf. Dan Millman, Accomplir sa mission, chapitre qui traite de la répétition des évènements difficiles. Millman n’a pas saisi les raisons psycho-sociologiques de la répétition, et n’a pas non plus intégré la maltraitance infantile, mais son explications de l’amplification du coût de chaque répétition est intuitivement bonne.

    L’absence de déconstruction du quatrième commandement dans l’approche de Millman fait que le reste du livre sera vraissemblablement perçu inconsciemment – et c’est bien le problème – comme culpabilisant. Il est donc à lire ou relire avec des pincettes.

  35. « Dieu a voulu qu’après Lui, nous honorions nos parents à qui nous devons la vie et qui nous ont transmis la connaissance de Dieu. Nous sommes tenus d’honorer et de respecter tous ceux que Dieu, pour notre bien, a revêtus de son autorité. », ou encore « Tu honnoreras ton père et ta père » d’après Le 4ème commandement sur l’archidiocèse de Ouagadoudou, consulté le 11 avril 2020.

  36. « L’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère. », d’après LégiFrance, consulté le 11 avril 2020. Un beau copier-coller de la bible qui démontre un héritage judéo-chrétien très lourd de conséquences, pour un pays qui se dit laïc.

    L’« honneur » implique la dette, une dette tellement grande qu’elle ne pourra jamais être remboursée – l’enfant est donc redevable à vie à ses parents – comme David Graeber l’explique dans Dette : 5000 ans d’histoire. C’est une notion commune à toute la civilisation occidentale, qui remonte a bien avant la bible, qui l’a portée par écrit dans ce commandement.

  37. Voir Ingrid Baillot, Le quatrième trimestre de la grossesse, Laëtitia Négrié et Béatrice Cascalès, L’accouchement est politique et David Graeber, Dette : 5000 ans d’histoire.

  38. Cf. l’excellente tribune de Virginie Despentes sur Libération.

  39. Voir l’article Angoisses décuplées ou effet libérateur […] cité dans une note précédente.